Contraception dite masculine: obstacles et solutions en 2021
Sharon Aronowicz
La pilule : symbole de libération à ses débuts, mais désormais plus souvent associée à des effets secondaires inquiétants et à une charge mentale pesante. C’est Marion Larat qui lance l’alerte sur la pilule en 2012, après avoir été victime d’un AVC massif. La médiatisation de cette affaire entraînera une « crise de la pilule » avec une baisse de 18 % de l’utilisation de cette contraception depuis cette année-là. On aurait pu croire à une remise en question de la contraception, une occasion de repenser cette charge mentale qui repose majoritairement sur la femme, mais presque 10 ans plus tard, les choses ne semblent pas avoir beaucoup changé. La pilule reste le moyen de contraception le plus utilisé en France par les femmes. Parmi les 91 % de femmes âgés de 15 à 54 ans utilisant un contraceptif : 48,8 % utilisent la pilule.
Qu’en est-il de la pilule contraceptive masculine ? Cela fait 10 ans que l’on mentionne de sérieuses avancées dans l’élaboration de cette dernière, mais si les médias semblent enjoués, l’industrie pharmaceutique l’est beaucoup moins. En effet, on remarque un manque total d’investissement, les laboratoires pharmaceutiques préférant améliorer l’offre féminine existante plutôt que de se risquer à développer des nouvelles méthodes dont la rentabilité n’est pas garantie. Comme l’explique Mireille Le Guen, chercheuse en post-doctorat au Centre de Recherche en Démographe associé à l'Ined et membre du laboratoire Contraception & Genre, « le niveau d'exigence pour prouver l'efficacité du produit a évolué depuis la production de la pilule féminine, ce qui augmente les coûts et rend la production pas suffisamment rentable. »
À cela s’ajoutent des effets secondaires considérés aujourd’hui comme trop importants (prise de poids, acnés…) pourtant similaires à la pilule contraceptive féminine.
Par exemple, sur la notice de la pilule Optilova disponible dans la base de données publiques des médicaments, parmi les effets indésirables fréquents, c’est-à-dire pouvant affecter plus d’une femme sur dix, sont répertoriés: modification de l’humeur incluant la dépression, modification de la libido (désir sexuel), nervosité, étourdissement, nausée, vomissement, apparition d’acné, rétention d’eau, prise de poids, et la liste continue. Ces effets figurent aussi sur la notice d’autres pilules.
« Et puis il ne faut pas oublier que s’il y a eu des fortes mobilisations de femmes pour demander l’accès à la méthode de contraception (pour une liberté sexuelle) on ne peut pas dire qu’on trouve le même engouement chez les hommes. » précise Mireille Le Guen.
Alors si la pilule contraceptive pour hommes ne convainc pas, pourquoi ne pas se tourner vers d’autres méthodes dites masculines ? Les personnes ayant un pénis peuvent aujourd’hui « se contracepter » de quatre manières différentes, mais toutes sont quasiment méconnues, à l’exception du préservatif.
La méthode la plus simple et la plus rapide est sûrement la vasectomie, elle est aussi la plus radicale mais n’est plus irréversible. Grâce à la technologie d’aujourd’hui il est possible de revenir en arrière, bien que l’opération soit plus compliqué. La vasectomie quant à elle dure 15 min sous anesthésie locale et nécessite une petite incision de quelques millimètres seulement au niveau des testicules, qui permettra d’accéder au canal (le vas) où circulent les spermatozoïdes, et de le sectionner.
Mais malgré la simplicité de l’opération, la vasectomie est encore très peu accessible et nécessite un délai de réflexion de 4 mois. Seuls 0,8% des hommes français ont, d’après les données des Nations Unies, eu recours à cette technique. Longtemps considérée comme une mutilation, cette opération est pourtant très pratiquée dans d’autres pays, au Royaume-Uni, 21% des hommes sont vasectomisés, et 22% au Canada.
Pour David le choix fut évident. Après avoir eu trois enfants, il ne voyait aucune raison pour que sa compagne continue à porter « le fardeau de la contraception ».
« J’ai fait un appel, on a une petite entrevue téléphonique, ils m’ont tout de suite donné un rendez-vous dans la semaine suivante. Il n’y a pas d’âge pour faire la vasectomie, pas de délai d’attente ni de délai de réflexion. »
L’opération s’est très bien déroulée, David en garde même un bon souvenir grâce au Protoxyde d’azote le gaz hilarant que l’on utilise pour l’anesthésie.
« J’ai ri, je m’en rappelle encore, ça s’est passé rapidement et le surlendemain j’avais des difficultés à marcher mais en moins de deux jours j’étais au travail. »
Mais alors pourquoi ce blocage chez les français ?
« Si au Royaume Uni on peut aller consulter n’importe quel professionnel de santé pour avoir recours à la vasectomie, en France ce sont des gynécologues qui en parlent, donc par définition, des médecins que les hommes ne vont pas voir» explique Mireille Le Guen.
« Les andrologues et les urologues sont peu sur le territoire, ils ont de gros dépassements d’honoraires avec des listes d’attentes très longues. Et puis, ils ne pratiquent pas tous la vasectomie car ce n’est pas rentable pour eux. »
Si la vasectomie peut facilement se faire par anesthésie locale, de nombreux professionnels de santé la font seulement sous anesthésie générale qui est bien plus rentable, ce qui décourage les patients qui ont l’impression de devoir faire une opération compliquée.
Daniel Aptekier Gielibter, co-président de l’association ARDECOM pour la recherche et le développement de la contraception masculine, justifie ce blocage par une « culture qui date de la guerre de 14 -18 » et un besoin de repeupler la France.
« La loi qui interdit la contraception et qui a interdit pendant des années la vasectomie date de 1920. Après la guerre, on s’est retrouvé avec une énorme saignée chez les hommes, il y avait besoin de faire des hommes français et culturellement on en est reste terriblement imprégné. »
Il aura fallu attendre 2001 pour que la vasectomie soit légalisée en France. Les hommes français sont donc aller chercher d’autres méthodes. Dans les années 70, le Dr. Mieusset a développé la méthode thermique. Son protocole a été validé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et expérimenté sur 1 500 hommes. Cette technique consiste à maintenir les testicules près du corps pour qu’ils passent de 34–35°C à 36–37°C. Ce simple changement de températures empêche la spermatogenèse et l’homme est donc contracepté.
Pour passer à cette méthode, on utilise un slip jockstrap ou un anneau en silicone (l’AndroSwitch) qui doit être porté au moins 15 heures par jour pendant 3 mois pour être efficace.
Camille, 20 ans, a décidé de prendre en charge sa contraception pour soulager sa copine d’un poids très lourd. Souffrant d’endométriose, elle ne préfère pas prendre d’hormones, par peur d’empirer sa condition.
« Pour moi c’était une évidence, je ne voyais pas pourquoi c’était à elle de s’occuper de la contraception au sein de notre couple. J’ai décidé d’utiliser l’AndroSwitch car je trouvais le principe très simple, et j’ai été convaincu par les études scientifiques très sérieuses qui ont été faites dessus. »
Camille a réalisé un premier spermogramme chez un médecin peu convaincu par cette méthode. « Je suis tombé sur un mec assez pénible et un peu vieux jeu. Quand je lui ai mentionné la contraception thermique il a commencé par me dire qu’il ne connaissait pas pour finalement me dire que ces méthodes alternatives ne marchent pas. »
En effet, peu de médecins en France sont formés sur ces manières dites « alternatives ».
Mais de nombreux groupes Facebook existent aujourd’hui, où chacun peut s’informer, poser ses questions et surtout, recevoir l’adresse de médecins bienveillants sur le sujet. C’est ainsi que Camille a pris rendez-vous chez un andrologue informé. Il lui a prescrit un spermogramme et lui a donné rendez-vous dans 3 mois pour vérifier que la quantité de spermatozoïdes dans son sperme soit suffisamment basse pour avoir des rapports sans risquer de féconder sa compagne.
Aujourd’hui, l’andrologue Roger Mieusset du CHU de Toulouse est le seul praticien en France à prescrire le slip contraceptif mais il est possible d’en fabriquer soi-même grâce à l’association Garcon qui organise des ateliers de couture.
Steven a décidé de passer au slip chauffant pour soulager sa compagne qui souffrait des effets secondaires de la pilule.
« Elle avait des règles très douloureuses, elle avait des kystes qui se formaient, c’était vraiment trop d’effets secondaires donc elle a décidé d’arrêter la pilule. »
En faisant quelques recherches, le couple tombe sur le Dr Mieusset et le rendez-vous est pris. « Dr Mieusset m’a très bien expliqué les choses, il a pris le temps de savoir si c’est possible ou pas avec mon dossier médical, il a vraiment épluché mon carnet de santé pour savoir si dans ma jeunesse il y avait des choses qui s’étaient passées » explique Steven.
Cela fait seulement quelques semaines qu’il porte son nouveau slip chauffant, il affirme s’être déjà habitué. Il faudra désormais attendre trois mois pour que le couple puisse avoir des rapports sans se soucier d’une grossesse non désirée.
Et enfin, la seule méthode disponible en pharmacie et validée par l‘OMS en 1994 est la méthode hormonale, mais au lieu d’avaler une pilule comme pour les femmes, il faut se faire une injection hebdomadaire en intramusculaire.
De quoi faire fuir le peu d’intéressés, comme le fera remarquer Camille « me piquer tous les mois, non merci ! »
Mais il n’y a pas qu’en France que l’on cherche des solutions dites alternatives. L’inventeur allemand Clemens Bimek a su faire parler de lui avec son « interrupteur à spermatozoïdes ». Le surnom peut prêter à rire, mais l’invention est fascinante.
Après avoir visionné un reportage sur la vasectomie, Clemens Bimek s’est interrogé sur la question de réversibilité de cette opération et comment la contourner. Il a donc décidé de créer une valve, une sorte de bouton miracle qu’il s’est fait installer sur ses propres canaux afin de contrôler l’éjaculation. Une fois la valve fermée, les spermatozoïdes ne peuvent plus passer et périssent naturellement. Attention, il est encore possible d’éjaculer, mais impossible de féconder.
« C’est un implant qui dure pour la vie. Il est fait à partir d’un matériel médical spécifique aux implants, que l’on utilise pour remplacer des dents ou des os. L’avantage c’est qu’une fois la valve installée, la personne n’a plus jamais besoin de se soucier de sa contraception, et quand elle veut un enfant, il suffit d’activer le flux de spermatozoïdes. Un homme peut donc avoir un contrôle total sur sa fertilité, et ce sans effets secondaires. »
Depuis des années, il travaille sur le perfectionnement de cette valve, et a réussi à prouver son efficacité, mais il n’a jamais obtenu de quoi financer les études cliniques nécessaires pour commercialiser son prototype sur le marché de la contraception.
Aujourd’hui, plusieurs associations comme GARCON ou ARDECOM luttent pour la recherche et le développement de ces techniques afin de partager la charge contraceptive et de soulager les femmes. Toutes les informations sur les méthodes existantes aujourd’hui sont disponibles sur le site, et des ateliers couture sont même organisés dans plusieurs villes de France afin de confectionner soit même son propre slip chauffant. En parallèle, des formations se mettent en place pour les urologues et les andrologues mais aussi les médecins généralistes pour normaliser les contraceptions dites masculines et faciliter la transition vers une charge contraceptive partagée.